Yves Lebahy géographe
Lors du dernier colloque sur les Initiatives Citoyennes Européenne organisé par l’ICB, Yves Lebahy, géographe, est intervenu au sujet de la réunification et plus particulièrement sur le rôle de la métropolisation dans ce processus. Intervention dont nous vous invitons à lire le résumé ci-dessous.

Journée institut Culturel Vannes le 11 janvier 2020

Intervention de Yves Lebahy – géographe –

Métropolisation contre réunification

Difficile question que celle du retour de la Loire Atlantique en Bretagne. Car tout a été dit ou presque sur le sujet. Je ne vais donc pas revenir sur les différents points habituellement avancés pour justifier cette revendication qui n’est en rien un acte incongru : arguments politiques et géopolitiques, économiques, culturels, etc …

Il ne faut plus se poser la question désormais de cette manière trop passéiste, mais au contraire, l’aborder désormais par rapport à un contexte présent et futur. Et dans cette approche, la question de la métropolisation est, en cela, essentielle. L’ouvrage de 2014, Réunifier la Bretagne? Région contre métropoles[1], aurait dû porter un titre inverse car la question majeure est bien celle du rôle de la métropolisation comme moyen de lutte contre les tentatives de réunification.

Paul Loret, dans son intervention précédente, faisait référence aux travaux du comité Balladur de 2012 : on peut en avoir une lecture positive au sujet de son traitement de l’identité- ce qu’il soulignait, mais pour ma part, elle est fondamentalement négative.

Pourquoi ?

Parce que ce qui est aujourd’hui à l’œuvre à travers les lois de « Modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles » (lois MAPTAM) qui en découlent en 2014 et 2017, c’est bien la politique de métropolisation. On voit que la classe politique, quels que soient ses courants et origines, joue cette carte métropolitaine et on peut être conduit à s’interroger sur le fait de savoir si cette politique n’est pas orientée aussi contre les régions.  Une chose apparait en tout cas évidente ; cette politique se fait en faveur de Paris. Car il faut replacer ce jeu dans le contexte géo-économique de la mondialisation, de ces 15 dernières années, marquées par la crise de 2008 et le déclassement de l’agglomération parisienne en tant que métropole mondiale. Des deux premières places qu’elle occupait dans les évaluations internationales, elle se situe désormais en 4e voire 5e rang selon le classement des divers instituts observateurs. Aussi la volonté de notre classe politique est de redynamiser Paris et l’Ile de France à tout prix (projet du « Grand Paris ») pour redonner à la capitale ce rôle fondamental qu’elle a perdu, si nécessaire à la survie de notre économie nationale, pensent les tenants de cette option. Il apparait très clairement que le Comité Balladur de 2012 a eu comme objectif de replacer Paris dans la course internationale. Les métropoles de la Loi ne sont alors que des croupions de métropoles, constituées non pas pour vivifier leurs territoires respectifs mais bien pour renforcer l’agglomération parisienne en se pliant à ses règles centralistes et en se mettant à son service via le réseau TGV, entre-autre.

Se trouve donc ainsi posée cette question du choix métropolitain, lequel n’est qu’une stricte lecture économique jouant sur la spécialisation des territoires et une extrême mobilité des populations, sans limite  spatiale et à tout âge de la vie, ces dernières étant conçues seulement comme une force productrice au service de ce projet. La métropolisation n’a nulle approche sociale, territoriale, culturelle. Mais elle a peut-être une arrière-pensée : le laminage des différences humaines au sein du territoire national. Ce point ne fait aucun doute, même s’il n’est pas explicite. Car ces métropoles sont des lieux de brassage des individus venus de toute part, d’élimination des identités, d’éradication des « racines », comme l’évoquait un précédent intervenant.  On le constate dans le domaine de l’édition : les publications sur la Bretagne ne se vendent pratiquement plus aujourd’hui dans les villes comme Nantes et Rennes. Cela montre qu’une distance s’instaure entre ces populations métropolitaines et le territoire dans lequel elles s’inscrivent.
Le parallèle peut être fait en matière d’emploi. Censées créer des emplois et les diffuser selon la théorie fumeuse du ruissellement, les études démontrent que c’est très peu le cas [2]: elles ont tendance à vivre sur elles-mêmes, ne diffusant que très peu l’emploi sur leurs périphéries, encore Rennes et Nantes étant parmi celles qui, en France, le font le mieux !

Par ailleurs, ces métropoles ne sont pas de véritables métropoles au sens où les géographes l’entendent.  Il n’y a de métropoles qu’à partir de concentrations humaines multi millionnaires et de fonctions internationales nombreuses. Les nôtres en sont bien éloignées. Par contre, la Bretagne prise dans son intégralité, avec ses grandes villes et son réseau particulièrement dense de villes petites et moyennes, pourrait à l’échelle internationale en constituer une particulière et aisément reconnue.  Car la Bretagne est connue dans le monde entier.  Elle aurait là une carte à jouer, mais cette approche renverse les représentations ambiantes et les intérêts nationaux.

D’où l’interrogation sur le sens qu’ont aujourd’hui nos métropoles régionales.

D’où une seconde interrogation quant à leur devenir dans le cadre des mutations environnementales résultant du changement climatique et, ce, dès les décennies à venir.

Car métropolisation et changement climatique sont les 2 clés de lecture de l’avenir.

La mondialisation nous a fait croire que la métropolisation était un fait nécessaire pour s’intégrer à ses jeux. Certes, encore faut-il y être une entité spécifique et identifiée qui apporte ses atouts et son originalité au sein de cet immense espace marchand qu’elle produit. Or la métropolisation, telle qu’elle est conçue, est un processus d’uniformisation des populations, des langues, des comportements, des cultures, des pratiques de production et de consommation.

Et là, la Bretagne a une carte fondamentale à jouer. Car en se réunifiant, en affirmant son identité et son autonomie, en valorisant ses propres moyens de production issus du milieu local et ses ressources sont encore bien réelles (productions primaires, de transformation, culturelles et de recherche), elle a capacité à exister sur cette planète, à condition d‘être identifiée comme une société différente, c’est-à-dire comme Bretons. Et cela est la première des choses.

Cette identification passe par une seconde dimension : notre approche différente de la relation au milieu. En effet, une des différences majeures que nous possédons par rapport à ce modèle métropolitain qui polarise hommes et activités sur les territoires partout dans le monde, est notre modèle d’organisation dispersée, héritage culturel ancestral marqué par la spécificité de nos sociétés atlantiques, adapté aux contingences qu’impose l’association du milieu océanique qui nous baigne avec des massifs anciens qui constituent notre substrat terrestre. Nous en avons hérité ce réseau de villes petites et moyennes, de villes-ports avec leurs caractéristiques de vie si particulières. Or ce réseau est actuellement « pompé » par les métropoles qui aspirent leurs forces vives ; elles le tue : Rennes reçoit chaque année un solde migratoire de l’ordre de 7000 h soit l’équivalent de la population de Carhaix ; pour Nantes, ce solde est de l’ordre de 7500/8000 h. Parallèlement ces métropoles régionales détruisent le territoire de la région. Un des aspects majeurs du territoire breton, devenu crucial, est cette opposition croissante entre la Basse Bretagne et la Haute Bretagne, mais aussi le déséquilibre entre l’intérieur et les côtes, lesquelles deviennent des conurbations se rêvant déjà, pour certaines, métropolitaines elles aussi.

Se mettent donc là en place des inégalités spatiales, établies au nom de cette polarisation, souhaitée et voulue politiquement et qui ne répond en rien aux souhaits des populations mais surtout pas aux enjeux futurs imposés par la mutation climatique (flux des réseaux de communication, artificialisation des sols, réchauffement urbain, …). Cette concentration des hommes et activités pose en parallèle une autre question, celle de la capacité des territoires à porter une population.  Ce n’est pas en concentrant à l’infini ces dernières dans des métropoles sans tenir compte des capacités physiologiques des milieux qui les reçoivent, que nous pourrons répondre à cette question de l’élévation de température, à celles de l’approvisionnement en énergie, en eau et au traitement des rejets de toute nature qu’elles produisent… Jusqu’où le milieu naturel peut-il « encaisser » ces déséquilibres ? – la crise ostréicole de cet hiver le démontre – Or les milieux en Bretagne sont fragiles, particuliers ; ils méritent attention (voir pollution des eaux de surface et en mer par exemple).

Je pense donc que ce sujet de la réunification pose véritablement la question d’un nécessaire projet régional, projet qui doit être profondément novateur. Or, on a la chance de vivre en Bretagne, région où perdurent une identité forte et vivante, des solidarités, des potentialités économiques réelles et peut-être encore une volonté de vivre ensemble. Et la question du retour de la Loire Atlantique au sein de la Bretagne participe à ce nécessaire projet pour l’avenir. Les dimensions économiques et culturelles l’imposent.


[1] Collectif « Géographes de Bretagne » sous la direction de Lebahy Yves et Briand Gael, Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles ?, Skol Vreizh, 2015.

[2] Voir, « Des métropoles qui irriguent très mal le territoire de la Bretagne » dans Où va la Bretagne ? Lebahy Yves et Le Ruyet Jean Claude , Skol Vreizh  2018, p. 71-73.