Votre Parlement a introduit dans notre législation le droit de pétition en espérant une respiration démocratique locale. Grâce à une modification de l’article 72-1 de la Constitution, il a créé un ensemble de textes pour le mettre en œuvre dont l’article L. 1112-16 du code général des collectivités territoriales. (1)
BRETAGNE RÉUNIE tient à vous alerter sur le sort réservé à ces textes quand le libellé de la pétition ne convient pas à son destinataire.
Au bas d’une pétition manuscrite, plus de 105 000 électeurs du Département de LOIRE-ATLANTIQUE soit plus de dix pour cent du corps électoral, qui était alors en 2018 le seuil légal, ont demandé l’inscription à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante du Conseil départemental de Loire Atlantique, « l’organisation d’une consultation des électeurs de ce département sur la délibération à prendre par ladite assemblée visant à la modification des limites régionales, en incluant le département de la Loire-Atlantique dans le territoire de la région Bretagne. »
La pétition ne contenait bien sûr aucune obligation de modifier les limites régionales ou même d’organiser la consultation, seulement celle de débattre de l’organisation d’une consultation par le Conseil départemental.
Ce débat n’a pas eu lieu.
Le Président du Conseil départemental lui a substitué une autre question, celle d’organiser ou non un processus de modification des limites régionales fondé sur l’article L 4122-1-1 du code cité plus haut alors sur le point d’être abrogé au 31/03/2019.
Le Conseil refusa d’organiser ce processus. C’était son droit.
Ce qui n’est pas son droit est d’avoir donné une réponse à une autre question que celle posée par les pétitionnaires dont la demande précise a été ignorée, ne suscitant qu’un débat sur la modification des limites régionales alors que le but premier de la pétition était d’obtenir un débat sur une consultation organisée par le Conseil départemental.
Se basant sur une interprétation de travaux préparatoires à la modification de la Constitution, la Cour d’Appel administrative de Nantes, saisie de l’affaire, a jugé que « l’exécutif de la collectivité territoriale, saisi par voie de pétition… d’une demande d’inscription à l’ordre du jour de son assemblée délibérante d’un projet de consultation des électeurs sur une question relevant de la compétence de cette assemblée, n’est pas tenu d’inscrire cette demande à l’ordre du jour. (2)
Saisi d’un recours contre cette décision, le Conseil d’Etat l’a rejeté sans exposer de motif, même si les conclusions du rapporteur public font état, pour la première fois dans la procédure, d’une absence de compétence du département sur la question de la modification des limites régionales alors qu’à cette époque deux textes la lui conféraient (art L4122-1-1 CGCT depuis abrogé et L4122-1 CGCT toujours en vigueur). (3)
Les juridictions administratives ont cru trouver dans des travaux préparatoires aux réformes susvisées matière suffisante pour écarter la lettre précise de cet article.
En élargissant la liberté de l’assemblée délibérante saisie d’une demande d’organiser une consultation à la liberté de ne pas en délibérer, elles ont mis à néant le droit de pétition.
Si l’assemblée saisie de la pétition peut faire son choix entre les questions qui lui conviennent et les autres, on transforme ce droit de pétition en une simple faculté d’interpellation et les seuils imposés par la loi deviennent pittoresques et inutiles.
On aura ainsi créé un miroir aux alouettes qui devrait être supprimé de notre droit.
Nous vous prions de croire à l’assurance de nos sentiments respectueux.
Les coprésidents de Bretagne Réunie : Philippe CLÉMENT, Alan-Erwan CORAUD, Alain-Francis PEIGNÉ
NB – votre collègue le député Paul Molac vous appelle à le soutenir au cas où il pourrait présenter un projet de loi allant dans le sens d’une consultation sur la réunification de la Bretagne.
(1) Article L 1110-16 CGCT
Dans une commune, un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales et, dans les autres collectivités territoriales, un vingtième des électeurs, peuvent demander à ce que soit inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante de la collectivité l’organisation d’une consultation sur toute affaire relevant de la décision de cette assemblée.
…
La demande est adressée au maire ou au président de l’assemblée délibérante. Il accuse réception de la demande et en informe le conseil municipal ou l’assemblée délibérante à la première séance qui suit sa réception.
Le ou les organisateurs d’une demande de consultation dans une collectivité territoriale autre que la commune sont tenus de communiquer à l’organe exécutif de cette collectivité une copie des listes électorales des communes où sont inscrits les auteurs de la demande.
La décision d’organiser la consultation appartient à l’assemblée délibérante de la collectivité territoriale.
Il a été ajouté par la LOI n°2022-217 du 21 février 2022 – art. 14 un second paragraphe :
II.-Une collectivité territoriale peut être saisie, dans les conditions prévues aux trois premiers alinéas du I, de toute affaire relevant de sa compétence, pour inviter son assemblée délibérante à se prononcer dans un sens déterminé.
La décision de délibérer sur l’affaire dont la collectivité territoriale est saisie appartient au conseil municipal ou à l’assemblée délibérante.
(2) L’article L. 1112-16 du code général des collectivités territoriales est pourtant clair :
Si dans le cadre d’une pétition le I de cet article dispose que la décision d’organiser la consultation appartient à l’assemblée délibérante ce n’est qu’au bas du II du même article concernant cette fois une demande de délibérer sur « une affaire » que la liberté de l’assemblée est étendue à la décision de délibérer ».
(3) Article L4122-1 du code général des collectivités territoriales
… La modification des limites territoriales des régions peut être demandée par les conseils régionaux et les conseils départementaux intéressés.
Une telle demande est donc de la compétence du Conseil départemental (seul ou conjointement avec les deux autres collectivités). La question peut donc toujours faire l’objet d’une consultation.